Frère Marie-Alexandre, professeur au Studium de théologie de Rimont, a soutenu sa thèse le 3 mai 2024, à l’Université Catholique de Paris. Elle a été reçue avec la mention magna cum laude (très bien). Frère Marie-Alexandre nous la présente.
Il s’agit d’une thèse en patristique, dirigée par le professeur Charbel Maalouf, et intitulée : « La Trinité Providente : l’apport d’Athanase d’Alexandrie pour une théologie trinitaire et christologique de la providence ». Dans le contexte d’une théologie contemporaine qui cherche à renouveler son discours sur la providence et l’action divine, cette étude se propose de montrer l’apport d’un auteur du IVᵉ S, Athanase d’Alexandrie. Si ce dernier est reconnu comme un des Pères de l’Église dont l’œuvre est déterminante pour la christologie (l’un des premiers auteurs chrétiens à avoir écrit un traité sur l’incarnation) et la théologie trinitaire (sa participation au concile de Nicée en 325 et sa défense constante la divinité du Verbe face à l’arianisme), il a fait peu l’objet d’études sur sa conception de la providence divine. Or, un passage de son œuvre, les Traités contre les ariens, a suscité et guidé notre recherche, celui où il affirme :
« Car le Père a tout donné au Fils, du coup le Père a toutes choses dans le Fils, et quand le Fils a, c’est encore le Père qui a. Car la divinité du Fils est la divinité du Père, et c’est ainsi que le Père exerce dans le Fils la providence envers toutes choses. » Athanase d'Alexandrie
Cet extrait est à comprendre dans le contexte d’une réflexion christologique sur certains passages de l’Écriture posant difficultés (ceux relatant l’agonie, l’ignorance ou la réceptivité du Christ…), l’arianisme s’en servant pour montrer que le Verbe ne pouvait donc par être de nature divine. Pour Athanase, au contraire, la réceptivité du Fils (Mt 11, 27) doit être comprise à la fois du point de vue éternel et temporel, à partir de l’unité de nature entre le Père et le Fils et de l’unité dans l’exercice de leur providence. D’où cette question qui commande notre recherche : s’agit-il d’une affirmation isolée ou est-elle éclairante sur la manière dont Athanase peut lier, dans sa réflexion théologique sur la providence, une question christologique avec une affirmation trinitaire ?
Après avoir fait dans la première partie une étude détaillée de l’utilisation du terme providence (pronoia en grec) dans l’ensemble de son œuvre (1ère partie), notre étude se propose de montrer différents aspects de cet apport de la théologie d’Athanase :
Tout d’abord, dans la manière dont, dans ses œuvres apologétiques, attribuant la providence au Logos, sa théologie s’appuie sur un discours philosophique (2ème partie). Au sein des différentes influences, nous avons spécialement retenu celle de Philon d’Alexandrie, auteur juif du Ier S. qui recours, à la fois à la philosophie et aux Écritures Saintes, pour parler du rôle du Logos par rapport à la création.
Ensuite, c’est surtout, face à l’hérésie arienne, dans l’herméneutique biblique de ses œuvres doctrinales, qu’Athanase élabore un discours proprement chrétien sur la providence (3ème partie). À partir de son recours aux versets johanniques sur l’unité entre le Père et le Fils (Jn 10, 30, 14, 9…), mais aussi du livre des Proverbes sur la Sagesse créatrice (Pr. 8, 22-30), il montre que, tout en respectant leur distinction, le Père et le Fils sont un dans l’exercice de la providence. Le Fils apparaît comme l’héritier des biens du Père (Hb 1, 3), celui que les reçoit mais aussi les distribue dans cette unité avec Lui.
La contribution d’Athanase est également évaluée au sein de la tradition patristique (4ème partie). L’Alexandrin se situe en continuité et discontinuité avec les Pères anté-nicéens (Irénée, Clément d’Alexandrie, Origène). Face à l’hérésie arienne qui réduit le Fils à un simple intermédiaire ou instrument de la création et face à la position d’Origène qui affirme bien l’unité du Père et du Fils mais considère surtout ce dernier comme un ministre efficient de la providence, Athanase donne toute sa portée à la médiation du Fils dans la providence, considérée avant tout du point de vue de l’unité immanente entre le Père et le Fils. Ainsi, le Fils apparaît un avec le Père dans notre élection divine, étant lui-même cette Volonté du Père dans sa personne.
La pensée d’Athanase prépare aussi les développements ultérieurs de la patrisitique notamment de Grégoire de Nysse et de Cyrille d’Alexandrie (5ème Partie). Ces auteurs précisent la place de l’Esprit-Saint dans l’action sanctificatrice et divinisatrice des personnes divines, Néanmoins sur ce point, Origène est le plus explicite, puisqu’il est le seul parmi les Pères, sous réserve d’un ajout possible de son traducteur latin Rufin, à utiliser l’expression de Providentiam Trinitatis. Dans son commentaire de l’épître aux Romains, il affirme comment, dans l’Esprit-Saint, la providence divine est en toutes choses.
Enfin, un dernier apport est souligné dans les liens féconds entre sa théologie doctrinale et sa théologie spirituelle. Les œuvres d’Athanase comme L’apologie pour la fuite, les Lettres Festales et la Vie d’Antoine témoignent de la manière dont le chrétien est invité à allier prudence humaine et abandon à la providence, et comment, en se laissant enseigner par Dieu, il participe à la connaissance des desseins divins.
Au terme de cette étude nous indiquons quelques pistes données par la pensée d’Athanase par rapport à des questions posées par la théologie contemporaine. Cette dernière cherche à mieux saisir comment dans son humanité le Christ a pu recevoir et vivre de la providence paternelle. Elle souligne également l’incompréhensibilité de ses desseins pour le Fils, qui les vit dans une obscurité et une distance avec son Père. A l’inverse, on a pu, à juste titre, reprocher à Athanase, et en général à la théologie alexandrine, de ne pas assez s’intéresser à l’humanité du Christ, la question de son âme étant encore peu développée à son époque. Néanmoins l’insistance de la théologie de l’Alexandrin à regarder la providence divine à l’aune de ces questions trinitaires et christologiques, nous incite à scruter comment le Fils, qui est un avec le Père dans la décision éternelle concernant notre salut, a pu dans sa volonté et nature humaine, jusque dans l’épreuve de l’agonie, vivre de cette unité avec la volonté du Père.